Belle et Sébastien 3 : J’ai lu le scénario comme je lis un Jack London
Le 14/02/2018
- Allociné
A la frontière du conte, du western, du parcours initiatique et du film d'aventures, Clovis Cornillac offre à Belle et Sébastien un dernier chapitre sincère. Rencontre.
AlloCiné : Un enfant, des animaux, la neige : normalement, ce sont trois choses à éviter quand on réalise un film !
Clovis Cornillac : En général, tu fais marrer tout le monde ! (Rires) Quand j’ai dit à mes pairs : "Mon prochain long métrage, ça va être à la montagne sous la neige avec un chien, des chiots et des enfants…", tu as l’impression de faire une vanne. C’est compliqué, c’est sûr, mais quand on fait un film, la question n’est pas que ce soit simple ou pas. La question, c’est d’être mû par quelque chose, d’être habité par l’idée de raconter une histoire et de fabriquer du cinéma. Se poser uniquement la question de la simplicité et de la rentabilité, ce n’est pas ma conception, ce n’est pas ce qui m’anime. Naïvement, je n’avais pas mesuré toutes ces difficultés : j’ai lu le scénario comme j’ai lu un Jack London. Faire un film d’aventures avec les animaux, la nature, des hommes, des enfants, un parcours initiatique… Après quand tu pars sur l’aventure, chaque étape est compliquée mais peu importe, on va les passer, on va trouver les solutions, on va avancer. Il faut emmener tout le monde sur ton territoire pour dire : "Les gars, soyons enthousiastes de faire ça, de fabriquer ça, parce que ça ne sera pas vide." C’est compliqué, oui, mais en même temps c’est une aventure en soi. Faire un film d’aventures sans vivre une aventure ce serait peut-être un peu étrange.
Tchéky, "Belle et Sébastien" est la première franchise de votre riche carrière. Cela témoigne de votre attachement à ce personnage et à cet univers ?
Tchéky Karyo : C’est vrai, c’est la première fois. Il y a une sorte de fidélité à la fois avec une équipe, avec des producteurs, avec des personnages, avec une nature aussi qui est extrêmement présente et qui court sur les trois films. C’est assez génial sur cinq ou six ans d’avoir rendez-vous avec ces saisons aussi vives qu’en Haute Maurienne, avec cette neige incroyable et ces lieux qui vous prennent dans les bras et qui peuvent vous massacrer dans la seconde qui suit. J’ai beaucoup aimé suivre ce parcours. Et puis découvrir des metteurs en scène différents qui ont chacun amené leur savoir-faire, leur histoire et leurs goûts, tour en respectant la franchise… avec franchise. (Rires)
Le film a une approche très naïve et très sincère, mais dans le bon sens du terme, sans cynisme, comme une aventure "à l’ancienne"…
Clovis Cornillac : Absolument. Ça s’apparente même plutôt à du premier degré. On est dans une époque où on fait les malins. Et où on segmente avec des cibles : "c’est un film pour les ados", "c’est un film pour les gamins", "c’est un film pour les vieux", "c’est un film pour les couples", "c’est un film pour les jeunes couples", etc… C’est exactement à l’opposé de ce que j’ai vécu au cinéma en tant que spectateur. Moi je pars dans le genre. Que ce soit une comédie, un western ou une aventure, justement. Ce dénominateur commun de l'aventure, c’était l’ambition du film. Je ne voulais en aucun cas faire un film lénifiant pour les enfants. J’ai trois enfants, j’ai vu plein de films avec eux, et je me suis souvent beaucoup ennuyé. Et je me suis demandé pourquoi… Pourquoi je ne peux pas partager un moment avec mes mômes où je suis au spectacle, où je vis quelque chose de fort, ou alors où je retombe en enfance ? Je n’avais pas envie que Sébastien soit mignon : je voulais qu’il soit beau, qu’il soit fort. Je voulais que le personnage de Belle ait une camaraderie intime avec cet enfant, comme le font les gens qui projettent quelque chose sur leur animal. Je voulais que César soit un héros magnifique, un type soi-disant âgé qui redevient une sorte de beauté qui nous emmène sur un territoire aventureux. Je voulais que la nature soit vraiment un personnage et pas une carte postale… Ces éléments nous parlent à tous. Il n’y a donc pas la problématique d’être malin. Je ne voulais pas tomber dans l’idée qu’une licence, c’est malin. J’avais envie que Belle et Sébastien 3 soit mon film. Sans prétention. S’il n’y a pas l’implication de faire un film avec une sincérité absolue, j’en suis incapable. Et c’est un film sincère. Et donc naïf.
Au sein de l’aventure, le film mêle de nombreux autres genres : le western, le conte, le buddy-movie… Comment avez-vous appréhendé ce mélange des genres ?
Clovis Cornillac : Je ne pourrais pas l’expliquer de manière totalement rationnelle. Face à un projet, je me constitue une grammaire filmique en me focalisant sur ce que je veux raconter dans chaque scène. Je ne couvre jamais une scène dans les tous axes et avec toutes les valeurs : je prends des risques. La réalisation et la mise en scène sont liés à une narration, à quelque chose qui habite le cinéaste qui raconte quelque chose dans une séquence, une manière de voir… Un point de vue, en fait. Dès lors, je dois forcément être habité de tous ces génies qui ont fait des films avant moi. Je n’invente rien, je suis sans doute un "remâcheur"… Mais un "remâcheur" sincère. Et je ne prends jamais la référence à froid. C’est après coup que je me dis -ou qu’on me dit comme vous le faites- qu’il y a du western, ou du Tati, ou du conte… Vous avez sans doute raison car j’aime tout ça, ça me raconte quelque chose. C’est donc quelque chose d’assez inconscient mais cohérent pour moi : une forme qui se fabrique à travers soi, mais qui est sûrement nourrie de tous les autres qui m’ont précédé. Cette notion de western par exemple, que je vois vraiment à l’arrivée, je ne l’ai jamais évoquée pendant le tournage.
Tchéky Karyo : Ça vient beaucoup de la personnalité de Clovis, qui est quelqu’un de très pragmatique avec une forme d’innocence par rapport au métier. Lui-même est comme Félix, c’est un enfant de la balle. Il a un métier du diable comme on dit, et en même temps il parvient à garder une fraîcheur, une innocence et un regard sincère. Et comme c’est un grand cinéphile, il a une conscience des formes. Il a vite vu que ce scénario offrait la possibilité de créer une fable et d’être dans un genre proche du conte, avec ce méchant cruel à la manière de Cruella. C’est presque manichéen, c’est même expressionniste. J’ai beaucoup aimé avoir cette opportunité de pouvoir sortir d’un genre trop naturaliste : tout d’un coup, on est dans la fantaisie d’un cinéma qu’on aime de 7 à 77 ans.
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