TCHEKY KARYO - "Je représente la France [...] et j'en suis fier"
Le 08/12/2015 à 00:00
Il arrive le pas décidé dans la suite 132 du Park Hyatt Paris-Vendôme, en chemise et cravate bien ajustée, avec à la main sa cigarette électronique et des lunettes aux verres fumés sur le nez. Souriant – peut-être parce qu’il s’agit de sa dernière interview de la journée ? – Tchéky Karyo, 62 ans, prend place dos à la fenêtre pour évoquer la sortie le 9 décembre au cinéma de « Belle et Sébastien : l’aventure continue », la suite réussie de « Belle et Sébastien » sorti en 2013. Il reprend son rôle de grand-père solitaire et bourru et part ici à la recherche sa petite-fille Angelina à travers les montagnes franco-italiennes. L’acteur nous parle de cette suite, de sa carrière d’acteur, de chanteur, de son éducation en tant que fils d’immigré à Paris. Et des attentats de Paris évidemment. Nous sommes en effet le 23 novembre au moment de notre interview. Dix jours après les événements dramatiques qui ont touché la France et sa capitale.
lepetitjournal.com : Comment vous sentez-vous aujourd’hui… ?
Tchéky Karyo : C’est dur et horrible évidemment, car des gens sont morts. Cela génère de la peur, de l’inquiétude, c’est anxiogène. Avec en plus, les médias qui font tourner en boucle tout cela... Mais d’un autre côté, cela secoue un peu les choses car l’on se dit qu’il faut essayer de comprendre ce qu’il se passe : pourquoi, d’où ça vient, comment on va vivre avec ça... ? Il faut trouver des réponses justes qui n’entretiennent pas le ressentiment et la violence. Cela veut dire qu’à partir du moment où l’on comprend que tous les musulmans ne sont pas terroristes, ce serait une idiotie d’aller poser une bombe dans une mosquée. Il ne faut pas faire d’amalgame. Il faut essayer de comprendre ce qui se passe dans cette partie du monde, quelles sont ces bagarres qui durent depuis des siècles et qui tout à coup, avec la modernité de l’Occident, créent des chocs incroyables. Et voir également comment cette population est accueillie, comment les frottements de cultures différentes peuvent se retrouver. Cela questionne dans tous les sens du terme, surtout lorsque l’on a des enfants. Je pense qu’il faut avoir une grosse fermeté avec ces gens-là mais qu’il ne faut pas faire escalader la violence dans les populations.
Vous-même êtes issu de l’immigration…
Je suis arrivé bébé en France, mais je suis complètement français, stérilisé français ! (rires) Je fais partie d’une vague d’immigrations qui s’est vite intégrée. Mon père refusait que l’on parle turc ou grec (son père était turc, sa mère grecque, ndlr), les racines de cette famille font que mes parents parlaient l’espagnol entre eux donc je l’ai appris, mais sans le chercher. J’ai grandi dans des quartiers parisiens, il n’y avait pas de banlieue dans ces années-là, avec des personnes de toutes origines. J’ai appris à chanter en arabe, en espagnol, en italien. Cela nous a appris que la différence est aussi une richesse, avec un esprit critique qui se forme assez vite aussi car on provoque et on est provoqué. Je me suis enrichi.
Vous avez beaucoup voyagé grâce à votre carrière d’acteur. De quelle France avez-vous entendu parler ?
La culture française est très appréciée à l’étranger. Il y a les clichés évidemment, liés à la gastronomie par exemple. Mais la France c’est l’élégance, le savoir-vivre, un sentiment de liberté. Aux Etats-Unis, le Français a plein de qualités qu’ils envient. Car nous avons une capacité à dépasser certains tabous en France, qui risquent de disparaître avec le politiquement correct. Nous avons un sens de la liberté, de l’expression, on sait débattre, s’engueuler et boire un coup ensemble après (rires). Moi, je n’ai jamais été aussi français que quand j’ai voyagé. Je représente la France quand je me déplace. Et j’en suis fier.
« Je ne suis pas de la génération Star Wars »
Alors que vous êtes parti à la conquête du monde cinématographique au début des années 90, notamment à Hollywood, vous restez davantage sur Paris et en France désormais. C’est un choix ?
Cela dépend. Pendant plus de 20 ans, j’ai tourné un peu partout, c’est vrai, avec comme point de départ les Etats-Unis. Puis c’est devenu plus calme. Cela a repris avec « The Missing » la série faite avec la BBC en Angleterre. J’avoue que durant mes différents voyages, je serais bien resté en Australie, au Brésil, ou en Argentine. J’adore ces endroits.
Comme la montagne, ces Alpes de votre enfance que vous retrouvez une nouvelle fois dans la suite de « Belle et Sébastien »…
La neige m’a un peu manqué lors du tournage, mais c’était génial. Quand on est arrivé en Haute-Maurienne, c’était tellement loin pour moi. J’y étais à l’âge de 7 ans... Des souvenirs me sont revenus, des sensations de l’enfance liées à ce printemps qui est exceptionnel avec une floraison magnifique : des petites fleurs vives et colorées. On peut boire, manger, se soigner, être apaisé par la beauté de ces paysages. Puis en même temps lorsque l’on sent l’hiver arriver, ça embrasse, mais ça peut être aussi très dangereux. Donc on apprend le respect par des gens qui y vivent. C’est génial. Très fort. On était à Sollières, à côté de Lanslebourg… C’est fou.
Avez-vous hésité avant de faire la suite de cette aventure ?
Pas du tout. C’est génial de grandir avec cet enfant, de repartir sur la route, même si le réalisateur est différent puisque Nicolas Vanier a passé la main à Christian Duguay. Que j’avais connu sur « Jappeloup ». Nous aimons les chevaux tous les deux, ça rapproche. Et puis Christian a rendu hommage au premier film de Nicolas et a mis sa patte, avec un peu plus d’aventure et de spectacularité. Mon personnage lui n’a pas vraiment changé, toujours bourru et taiseux. Il fait toujours la leçon mais apprend beaucoup à travers cet enfant.
Justement, comment jugez-vous l’évolution de Félix Bossuet qui joue le rôle de Sébastien ?
Il est brillant, intelligent, très vif d’esprit. Au début, toutes les choses dangereuses, notamment dans le premier film, comme aller dans le vide lui faisaient peur. Là, il a tout fait. Il a grandi. C’est un acteur, un enfant de la balle puisque ses deux parents sont dans la musique.
« Belle et Sébastien » avait fait trois millions d’entrées en France en 2013. Sa suite sort entre James Bond et « Star Wars ». Difficile de réaliser le même score, non ?
C’est entre les mains du public et du marketing qui va aider à faire parler du film.
Si vous deviez choisir entre les trois ?
Je pense que j’irais voir « Belle et Sébastien » ! (rires) Bizarrement... J’irai voir « Star Wars » aussi même si je ne suis pas de la génération Star Wars. J’ai fait beaucoup de théâtre avant de faire tardivement du cinéma. Et même si je viens d’un milieu populaire où on allait voir les films à grand spectacle, je voyais davantage de films d’auteur, ceux de Wenders, Kurosawa, Fassbinder… J’ai découvert les autres films plus tard et, évidemment, quand on regarde un film comme ça, on s’assoit et on se laisse embarquer !
« C’est étonnant à mon âge de vivre tout ça. Mais je prends, ce sont des cadeaux »
En revanche, James Bond c’est votre truc puisque vous avez joué dedans !
Ah ça oui ! « Dr No » (le premier film de la saga, « James Bond contre Dr.No », sorti en 1962, ndlr) est gravé dans ma mémoire. Et j’ai joué dans « Golden Eye » en 1995 avec Pierce Brosnan. On entre un peu dans la légende quand on voit ce qui se passe dans les fans clubs. C’est fou. Et c’était génial de rencontrer cette famille (les Brocolli, ndlr) qui entretient cette franchise depuis tant d’années.
Vous avez connu Hollywood et ses grosses productions. Cela vous manque-t-il aujourd’hui ?
Non. Mais si ça reprend, ça m’ira aussi. J’ai arrêté car je commençais à être fatigué d’aller et venir. À 50 ans, j’ai fait le point. À 30 ans tout allait bien, 40, je n’ai rien vu passer. Puis 50 ans, c’est un moment important de la vie : qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui reste ? J’ai recommencé à refaire du théâtre, j’ai fait de la musique, j’ai monté un groupe, j’ai fait un album, j’ai fait un autre groupe et un deuxième album. Je suis sur scène. Et j’ai rencontré une femme avec qui je suis depuis plus de dix ans. Il y a une espèce de grâce dans le mouvement de ma vie qui fait que je n’ai plus envie d’y aller. Je suis papa d’une petite fille de trois ans, un autre bébé arrive. C’est étonnant à mon âge de vivre tout ça. Mais je prends, ce sont des cadeaux. Je cherche à être heureux.
La musique semble y contribuer ?
Complètement. Je creuse mon deuxième album avec mon équipe formidable. On fait des concerts dans des salles de 200-300 personnes. Les gens finissent debout à la fin sans que je n’ai rien demandé. C’est un vrai spectacle, une dramaturgie, des textes, de la poésie, une mise en scène.
Vous cartonnez aussi avec la série TV « The Missing » de la BBC. La télévision a la cote désormais…
C’est vrai que je viens d’une génération qui ne faisait pas de télé. On ne voulait pas en faire. Et puis des scénarios arrivent, des bons, les rôles sont bien, les productions aussi. Pourquoi refuser ? Car de toutes façons les films que l’on fait finissent par arriver à la télé. Je vais tourner la saison 2 en février.
Jérémy Patrelle (www.lepetitjournal.com) mardi 8 décembre 2015
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