Pendant plus d’un quart de siècle, Nicolas Vanier a arpenté les espaces sauvages des territoires “d’en haut”. De ses périples sont nés de nombreux récits, romans et documentaires. L’aventure débute toujours par le respect absolu de la nature et des peuples qui y vivent.

Ses rêves d’enfance ont été bercés par les récits de Fenimore Cooper et Jack London. Indiens, trappeurs, bêtes sauvages, immensités blanches et hostiles ont stimulé son imagination débordante au rythme de ses voyages. Devenu adulte, Nicolas n’a rien perdu de sa fascination.

Un jour, équipé d’un sac à dos, il embarque gare du Nord pour sa première expédition. Kiruna, en Laponie, au-delà du cercle polaire arctique, est, pour Nicolas Vanier, une vraie révélation… Après un petit boulot de docker sur le port du Havre, il s’envole pour le Québec et part en canoë de Shefferville à la baie d’Ungava, à l’entrée du détroit d’Hudson, pour y rencontrer les Indiens Montagnais. Il s’embarque ensuite pour un périple de 7000 kms qui le mènera du Wyoming au détroit de Béring : voyageant à cheval, avec 24 chiens de traîneau, il découvre le Labrador et ses troupeaux de caribous, la Sibérie et ses Évènes, éleveurs nomades de rennes, la Mongolie et l’océan Arctique. Les grands espaces inspirent ses récits et ses nombreux documentaires. Pour Nicolas, l’homme et la nature ne font qu’un. Le message se veut toujours utile pour que les hommes prennent enfin conscience de leur folie destructrice. Il y eut également les grands défis comme l’Odyssée Blanche, une traversée de plus de 8000 kms de Skagway, en Alaska, au Québec, les grandes courses de chiens de traîneau comme la Yukon Quest, et pour parachever son dernier rêve d’aventurier, l’Odyssée Sibérienne en solitaire du lac Baïkal à Moscou.

Homme engagé en faveur de la protection de la nature, il parraine – entre autres initiatives – « L’école agit ! », organisation fondée par le ministère de l’Éducation nationale, dont le but est de promouvoir l’écologie et le développement durable dans les écoles.

Il prépare actuellement une nouvelle expédition, du plus grand océan au plus grand lac du monde : il s’agira de relier le Pacifique au lac Baïkal, en traversant la Mandchourie, la Mongolie et une partie du sud de la Sibérie. Il portera également à l’écran l’adaptation de son roman, « L’or sous la neige », retraçant l’aventure d’un jeune Américain, à la fin du XIXème siècle, qui se lance dans la ruée vers l’or du Klondike.

Entretien avec Nicolas Vanier

 

Comment est né « Belle et Sébastien » ?

Contrairement à tous les projets que j’ai menés jusqu’ici, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de « Belle et Sébastien ». Au départ, l’idée vient du producteur Clément Miserez, de mes co-scénaristes Fabien Suarez et Juliette Sales, et des gens de la Gaumont. Or, lorsqu’ils se sont interrogés sur un nom de metteur en scène, il se trouve que j’étais leur premier choix. C’est tombé au bon moment pour moi car je venais justement de reporter le projet sur lequel je travaillais pour des raisons de financement !

Quel souvenir gardez-vous du feuilleton télévisé ?

Quand j’étais petit, j’étais complètement accro à cette série ! Il faut dire que j’étais déjà passionné par les animaux, la nature et la montagne et que j’en ai gardé un souvenir profondément ancré en moi. Ce n’est pas anodin puisqu’à l’âge adulte je me suis entièrement consacré aux chiens et à la nature. Du coup, quand on m’a proposé ce projet, j’étais presque intimidé par rapport au souvenir que j’en avais gardé : pour moi, il ne s’agissait pas d’une banale série télé mais d’une longue suite d’épisodes plus extraordinaires les uns que les autres. C’était donc un véritable défi à relever, ce qui n’était pas pour me déplaire, même si c’était un peu angoissant. J’étais tellement marqué par les sensations fortes que « Belle et Sébastien » avait éveillées en moi que je me sentais un vrai devoir de réussite. Dès lors, il fallait réaliser un film pour le cinéma, forcément différent de la série télé, tout en restant fidèle aux fondamentaux de l’histoire, c’est-à-dire à ses personnages et à son univers.

Dans quelle direction avez-vous cherché à orienter la transposition ?

Dès le premier rendez-vous avec Gaumont, j’ai expliqué que j’étais prêt à tourner le film sous certaines conditions. D’abord, il fallait trouver un enfant exceptionnel tant par la force du regard que par la personnalité. Ensuite, je tenais à tourner sur trois saisons. Enfin, je souhaitais transposer le film à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale. C’était un parti-pris esthétique car je ne voulais pas montrer la montagne telle qu’elle est devenue aujourd’hui : je souhaitais retrouver un paysage montagnard de chalets et de villages en lauze, dont l’harmonie de couleurs et de matières fait écho au cuir, au chanvre et au bois des vêtements et des objets de l’époque. C’est donc cette volonté esthétique qui a servi la dramaturgie et qui m’a permis de renouer avec une dimension essentielle de la série : l’aventure, le voyage et la notion de passage. La guerre et la fuite des Juifs vers la Suisse s’inscrivaient parfaitement dans cette continuité.

Comment s’est passée la collaboration avec vos co-scénaristes ?

C’était une jolie rencontre, tant sur le plan professionnel qu’amical. Ce n’est pas évident car il m’est arrivé de travailler avec de formidables scénaristes et de buter sur des problèmes de rythme. Ici, l’alchimie a très bien pris entre nous, ce qui nous a permis d’avancer très vite et d’être réactifs, sans qu’on ait besoin de s’attribuer de rôles. On fonctionnait surtout par l’échange : parfois, mes co-scénaristes avaient leurs propres idées qu’ils me communiquaient et, à d’autres moments, c’est en discutant tous les trois que certaines pistes ont émergé. C’était un véritable travail collégial.

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Belle et Sébastien © Eric Travers | 2013 RADAR FILMS – EPITHÈTE FILMS – GAUMONT – M6 FILMS – RHÔNE-ALPES CINEMA

Avez-vous souhaité rester fidèle aux personnages de la série ?

J’ai revu la série une seule fois, chez moi, muni d’un petit carnet et d’un crayon, et dès qu’un élément m’apparaissait important, qu’il s’agisse d’un personnage ou d’un lieu, je le notais. Cela m’a permis de garder en mémoire ce qui me semblait nécessaire de retrouver dans l’adaptation. J’ai préféré ne voir les épisodes qu’une seule fois pour pouvoir ensuite m’en affranchir et prendre de la distance par rapport à l’histoire originale. Puis, j’ai repris point par point la trentaine d’éléments qui devaient absolument figurer dans le film.

« Belle et Sébastien » est aussi un récit d’apprentissage.

Oui, car au-delà du sujet qui me plaisait beaucoup, ce qui m’intéressait, c’était de construire une véritable fiction, d’autant que ce n’était pas le cas de mes deux précédents films qui se rapprochaient davantage du documentaire. De même que je suis passé du récit de voyage au roman, j’ai profondément envie aujourd’hui de raconter des histories fictionnelles avec des personnages qui suivent des trajectoires et qui évoluent. Je souhaite aussi parler de mon pays, la France, car c’est une terre que j’adore, même si j’ai passé beaucoup d’années à l’étranger. C’est pour toutes ces raisons que je me suis autant investi dans ce projet en attachant beaucoup d’importance à l’écriture et à la mise en scène afin qu’on ne soit jamais dans la caricature.

Vous brossez un très beau portrait de ces savoyards qui sont des taiseux…

Je voulais montrer un monde que je connais bien puisque j’ai passé une grande partie de ma vie auprès de montagnards qui ressemblent beaucoup aux habitants du Grand Nord. Ce sont des gens qui parlent peu mais qui agissent. Je me souviens d’un vieux chasseur de chamois – un amoureux fou de la montagne qui m’a initié à son univers quand j’avais 17 ou 18 ans – qui ne prononçait presque jamais un mot. En apparence, il pouvait sembler un peu autiste car il était incapable de dire «Bonjour» ou «Au revoir». Et pourtant, il savait glisser un morceau de pain dans la gibecière d’un voyageur qui avait trois heures de route devant lui. J’aime ces gens qui agissent davantage qu’ils ne causent : je suis effaré par l’importance que prend aujourd’hui la communication. De même, je tenais à montrer que les rapports entre un humain et un chien peuvent échapper aux dérives actuelles, où les gens se retrouvent complètement gâteux face à leur animal et les traitent comme des enfants ! Il me paraissait essentiel de mettre en avant un rapport sain entre homme et animal, où chacun reste à sa place.


Belle et Sébastien © Eric Travers | 2013 RADAR FILMS – EPITHÈTE FILMS – GAUMONT – M6 FILMS – RHÔNE-ALPES CINEMA

Les producteurs n’ont pas hésité à vous laisser tourner sur trois saisons ?

Pas du tout, et il faut bien avouer que c’était courageux de leur part. Non seulement en raison de la présence d’un enfant et d’un chien, mais aussi des difficultés logistiques. C’était donc un pari coûteux et risqué. Mais je n’aurais pas pu montrer la montagne uniquement en été ou en hiver : j’éprouvais un réel besoin de dévoiler ses différentes couleurs au fil des saisons. Tout comme Sébastien, la montagne constitue un personnage à part entière.

Comment se sont déroulés les repérages ?

C’est un poste sur lequel la production a réalisé d’énormes économies ! Car, si j’ose dire, j’ai effectué les repérages au cours des trente années que j’ai passées à sillonner la montagne. Du coup, je savais exactement à quel endroit je souhaitais tourner : la vallée de la Haute Maurienne Vanoise. D’ailleurs, dès l’écriture du scénario, je notais dans la marge les lieux auxquels je pensais pour les différentes scènes. Certains noms viennent de la série, d’autres sont imaginaires et d’autres encore font référence à des souvenirs d’enfance.

Quels étaient les plus grands défis sur le tournage ?

Rien ne me paraissait insurmontable, ni le tournage en montagne, ni la présence du chien. Le plus difficile, c’était de diriger un enfant car une grande partie du film reposait sur sa capacité à vivre cette aventure de bout en bout. Même si, dès le départ, j’étais confiant, je suis resté prudent parce que je suis conscient qu’à 7 ans et demi, tout peut arriver … La vraie grande surprise a été la faculté de Félix à comprendre ce que j’attendais, à ne jamais sur-jouer, à émettre des propositions de jeu pertinentes et à être constamment dans la finesse. C’est ce qui a donné une énergie formidable à tout le monde sur le plateau. Car au-delà des qualités d’écriture et de mise en scène du film, c’est vraiment Félix qui porte le projet.

Comment avez-vous trouvé le petit Félix ?

Nous avons reçu près de 2400 candidatures pour le rôle de Sébastien. La directrice de casting n’avait jamais vu un tel engouement : alors qu’en général les gens veulent lire le scénario, la célébrité de la série et mon nom attaché au projet ont suffi à rassurer et à susciter l’enthousiasme de nombreux parents qui ont envoyé les photos de leurs enfants. 200 d’entre eux ont été présélectionnés, puis à partir de visionnages et d’essais, j’en ai retenu une douzaine que j’ai emmenés dans le Vercors, où j’ai des chiens de traîneau. Pendant ces quelques jours, j’ai vécu avec ces enfants, je les ai observés et j’ai appris à les connaître. Et même s’il ne restait plus que trois candidats possibles, j’ai très vite su qui je voulais et j’ai imposé Félix, envers et contre tout, bien que d’autres aient pu sembler plus mignons au premier abord. Peu m’importait qu’ils aient déjà une expérience de tournage ou pas. J’ai aimé la personnalité de Félix, qui est un enfant intelligent et courageux, mais qui peut rapidement se fermer comme une huître si on ne prend pas le temps de se faire accepter par lui. Il a quelque chose de déconcertant et d’étrange mais dans lequel je décelais une finesse qui n’appartient qu’à lui.


Belle et Sébastien © Eric Travers | 2013 RADAR FILMS – EPITHÈTE FILMS – GAUMONT – M6 FILMS – RHÔNE-ALPES CINEMA

Autour de Félix, les autres comédiens sont épatants…

Tchéky Karyo s’est imposé d’emblée dans le rôle de César. Alors qu’il tient souvent des rôles antipathiques, j’avais envie qu’il évolue progressivement vers la lumière, même si on n’a pas une sympathie immédiate pour lui. C’était donc un changement intéressant par rapport à son image auprès du grand public. Très vite, je lui ai expliqué qu’il ne fallait pas qu’il y ait la moindre ambiguïté sur ses rapports avec les autres personnages : Angélina n’est pas sa maîtresse et Sébastien est son «petit-fils» d’adoption. Même si je n’ai pas beaucoup d’expérience en matière de direction d’acteur, je crois que mon besoin de précision l’a rassuré. Quant à Margaux Chatelier, tout comme Félix, je l’ai imposée par rapport à des actrices plus connues, car elle incarnait exactement le personnage que je souhaitais. Dès que je l’ai vue pendant les essais, elle a été une évidence ! On a eu énormément de chance pour le rôle du lieutenant Peter. En effet, après pas mal de recherches infructueuses, j’ai dû prendre une décision de dernière minute, en visionnant une vidéo d’Andreas Pietschmann sur mon portable : je l’ai trouvé formidable et quand je l’ai rencontré, mon impression s’est largement confirmée.

On retrouve Mehdi, emblématique de la série, dans le rôle d’André…

Au début du projet, j’ai considéré qu’il s’agissait d’une contrainte qui s’imposait d’elle-même : il me paraissait impossible de monter ce film, sachant qu’il était acteur, sans lui proposer un rôle. Très vite, j’ai envisagé de lui confier celui d’André, le chasseur auprès duquel Sébastien tente d’obtenir des informations sur la « bête ». Lors de notre première rencontre, nous étions un peu sur nos gardes tous les deux et je me suis même demandé, au départ, si je n’aurais pas préféré qu’il refuse ma proposition car j’avais le sentiment qu’il était un peu « l’oeil de Moscou » sur le film… On ne s’est pas revu dans les semaines qui ont précédé le tournage mais lorsqu’on a commencé à travailler ensemble, il m’a beaucoup ému. Il avait de grandes bouffées de nostalgie en replongeant dans cet univers et un jour il m’a fait le plus beau des compliments en me disant « maman serait fière ». La sincérité avec laquelle il s’est exprimé m’a permis de sentir toute sa sensibilité et on est tombé dans les bras l’un de l’autre : dès cet instant, on est devenus amis. Autant dire que sa présence a été un vrai moteur et m’a donné une énergie nouvelle. C’est aussi à ce moment que j’ai perçu son appréhension : il tenait à ce que le film reste fidèle à l’image qu’il avait gardée de cette histoire imaginée par
sa mère.

Avez-vous eu du mal à trouver les « interprètes » de Belle ?

À partir d’un certain nombre de critères de poids et de taille, une centaine de chiens ont été repérés. Ils ont été longuement observés par Andrew Simpson, qui a dressé les animaux pour « Le Dernier Trappeur » et « Loup » et en qui j’ai toute confiance. Il en a retenu 7 ou 8, qu’il a fait travailler, puis il en a gardé trois au final : Garfield, la chienne vedette, et deux autres qui ont servi de doublures. Elles avaient chacune des caractères spécifiques pour jouer dans des scènes plus ou moins dynamiques ou calmes. En revanche, quand on voit un gros plan du chien, c’est toujours Garfield.


Belle et Sébastien © Eric Travers | 2013 RADAR FILMS – EPITHÈTE FILMS – GAUMONT – M6 FILMS – RHÔNE-ALPES CINEMA

Quels ont été vos choix de mise en scène ?

Si on doit les résumer en un mot, je dirais la sobriété. Une sobriété calculée, recherchée et assumée. Ce qui n’est pas synonyme de facilité. En l’occurrence, j’ai été formidablement bien assisté par Luc Drion, opérateur qui a un sens du cadre d’une précision extrême, et par Eric Guichard, directeur de la photo d’une grande justesse en termes de lumière. Collaborer avec ces deux professionnels était une chance : on s’est très vite trouvé tous les trois car nous partagions la même volonté de construire le film en le rythmant par l’alternance de phases descriptives et de phases d’action. Du coup, au niveau du découpage, on essayait dans la mesure du possible d’avoir en un plan ce que d’autres obtiennent en deux.

Parlez-moi de la musique.

C’est Gilles Legrand d’Épithète, coproducteur du film, qui m’a permis de rencontrer Armand Amar. Au-delà de la qualité de son travail, ce qui est formidable avec lui, c’est qu’on peut être franc et lui dire «je n’aime pas». Il n’argumente pas une seconde, même s’il est convaincu par ce qu’il vient de faire : il jette le morceau à la poubelle et il propose autre chose. Au départ, nous n’étions pas vraiment sur la même longueur d’onde, ce qui est logique car il faut du temps pour trouver ses marques entre un réalisateur et un musicien. Puis, il y a eu une sorte de déclic entre nous et à partir de là, Armand s’est pour ainsi dire envolé ! C’était un vrai bonheur de l’appeler pour lui dire que j’avais été ému aux larmes par certaines de ses compositions.

On retrouve la mélodie de la série dans la bande-originale du film.

Cela me paraissait fondamental. Armand en était, lui aussi, convaincu, même si c’était plus difficile de travailler à partir de cette contrainte : cela aurait pu constituer un carcan dont il aurait pu ne pas se libérer mais il a formidablement relevé le défi.

Et les voix ?

Armand a eu l’idée de Zaz, dont la voix un peu grave tranche agréablement avec le timbre plus doux de Félix : je trouve qu’elle apporte énormément d’émotion au film. Quant à la voix enfantine, c’est celle de Félix ! En effet, j’ai découvert presque par hasard qu’il avait aussi des capacités vocales : alors que nous étions partis main dans la main en repérages pour voir le refuge, il s’est mis à chantonner et je me suis aperçu qu’il se débrouillait très bien. J’en ai parlé à Armand, qui était un peu surpris au départ, puis qui a constaté que Félix avait une voix merveilleuse.